Aller au contenu

De l’agriculture… en ville ?

Depuis plusieurs décennies déjà, on constate que de plus en plus de personnes partent vivre en ville, à tel point qu’au début des années 2020, plus de la moitié des personnes sur Terre vivait dans des villes ! Une première dans l’Histoire de l’Humanité, qui n’est pas sans être accompagnée de changements drastiques et durables des paysages… Cette urbanisation croissante n’est pas sans conséquence : perte des espaces naturels pour les citoyens.nes, diminution de la biodiversité urbaine, phénomène d’îlots de chaleur urbains, etc.

En parallèle, les villes expriment une volonté de développer une activité permettant une meilleure résilience alimentaire, sociale, politique, économique, environnementale… Ainsi, tandis que les terres agricoles autour des villes disparaissent peu à peu, un nouvel élan émerge également au sein des métropoles du monde entier : celui de l’agriculture urbaine !

L’agriculture urbaine : de quoi s’agit-il ?

Potager, jardins participatifs, serres de toit à but lucratif… L’agriculture urbaine concerne un large éventail de de personnes et de pratiques1. Elle se définit le plus souvent comme une pratique de la culture et du pâturage dans les zones urbaines, suburbaines et périurbaine, et est souvent proposée comme une méthode de production agricole respectueuse de l’environnement, fournissant de la nourriture à l’endroit où la demande est la plus forte avec la main-d’œuvre 2. La forte diversité des formes observées dépend du contexte (urbain, territorial, politique, économique, social, etc.), des acteurs investis dans cette activité (professionnels, non professionnels, individuels ou familiaux, etc.), des surfaces disponibles, des outils techniques (utilisant des technologies de pointe ou au contraire facilement reproductibles), des finalités de production (alimentaires, économiques, sociales, etc.) et des modes de distribution (autoconsommation, dons, partages, vente, etc.). Une étude datée de 2013 comptabilise même jusqu’à 8000 types de jardins associatifs, selon les combinaisons de facteurs biophysiques (sol, climat, etc.) et organisationnels3 !

Un tel développement qui s’est bien évidemment développé au cours de l’Histoire, selon de multiples contraintes et évènements : Guerres Mondiales, besoin d’un « retour à la Nature », production locale, etc.

Cette frise chronologique représente l’apparition, la disparition et l’évolution des différents types d’agriculture urbaine de la fin du XIXème siècle à nos jours (modifié d’après Royer et al., 2023)

Produire de la nourriture… Mais pas seulement !

La principale force de l’agriculture urbaine est bien évidemment son aide dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle, offrant y compris aux plus démunis un meilleur accès à une nourriture de qualité4. Selon les estimations, entre 1005 et 200 millions de personnes6 à travers le monde en bénéficiaient au début des années 2000 ! La conséquence directe d’un tel accès à une nourriture de meilleure qualité se traduit également par une amélioration de la santé des plus démunis en milieu urbain… A condition que la production agricole ne se fasse pas dans des zones fortement polluées7 !

Une autre conséquence directe d’une telle production réside également dans la protection financière que peut offrir l’agriculture urbaine : produire directement en ville, c’est aussi se rendre moins vulnérable aux hausses des prix de l’alimentation8… L’agriculture urbaine crée également des opportunités d’emploi9 et stimule le développement d’entreprises dans les activités en relation avec l’agriculture10 (par exemple, les intrants agricoles, la transformation alimentaire, l’emballage, la commercialisation, etc.).

L’agriculture urbaine constitue également un puissant acteur d’intégration vis-à-vis des personnes défavorisées et/ou isolées (personnes âgées, sans emploi, handicapés.es, etc.) car elle favorise et facilite leur participation à la vie sociale et leur offre de meilleures conditions de vie11 ! Elle joue également un rôle crucial dans les activités récréatives et éducatives, en particulier pour la jeunesse ! Dans les écoles, les jardins jouent un rôle éducatif important en permettant de mieux comprendre des concepts non seulement en biologie et agronomie mais aussi en mathématiques, physique et chimie12. Des preuves provenant de villes du monde entier soulignent l’impact positif de l’agriculture urbaine sur les femmes, les jeunes et les enfants. Dans le monde entier, on estime d’ailleurs qu’environ 65 % des agriculteurs urbains sont des agricultrices13 !

Enfin, un autre effet positif et inattendu de cette agriculture est son potentiel rôle dans la gestion des déchets ménagers : elle permet un usage en cercle court du compost produit par les ménages tout en permettant le recyclage de déchets inorganiques utiles pour l’agriculture14 (des bouteilles en plastiques pour protéger les végétaux nouvellement plantés, des pneus pour réaliser de la culture hors-sol, etc.). Au-delà de son apport dans la gestion des déchets, la présence d’arbres et de plantes herbacées diminue la présence de particules fines en suspension, mais aussi la concentration dans l’air en dioxyde d’azote (NO2), un gaz nocif pour la santé respiratoire15. L’agriculture urbaine contribue à la réduction de l’impact écologique des villes à la fois par le recyclage des déchets16, par la réduction des émissions liées au transport17 (emballage, stockage, etc., puisque les zones de production sont proches des consommateurs finaux) mais aussi par l’augmentation de la biodiversité urbaine !

Photo illustrant un éco-pâturage présent sur le campus de l’Université de Poitiers et accueillant des moutons des Landes (Le Champs des Possible, https://www.lechampdespossibles.green) (© Hélène Royer)

Contraintes et défis…

Si l’agriculture urbaine dispose de nombreux avantages, elle fait également face à plusieurs défis… Tout d’abord, tous les risques habituellement rencontrés dans l’agriculture traditionnelle en milieu rural doivent être soigneusement pris en compte… Si elle n’est pas gérée correctement, elle peut représenter une menace pour les eaux superficielles et souterraines, en raison de l’utilisation de fertilisants, de pesticides et des déchets d’animaux18. Cela est particulièrement préoccupant car l’expansion urbaine relègue généralement l’agriculture urbaine dans des zones marginales et périphériques, telles que les zones humides ou les collines, qui sont les plus sensibles aux risques environnementaux. Elle doit également relever des défis environnementaux (contraintes techniques, manque d’expérience et de recherche dans le système alimentaire), sociaux (manque d’acceptation des techniques de culture sans sol, disparités entre les zones, qualité alimentaire et risques pour la santé) et économiques19 (construction et rénovation des bâtiments, concurrence avec d’autres types d’utilisation, financement, manque de connaissance sur les capacités de production de la ville). Enfin, l’articulation entre les différents acteurs.ices impliqués.es dans la gestion de cette agriculture urbaine reste encore à établir… Car selon l’objectif principal de l’espace d’agriculture urbaine (économique, agrément, vivrier, social), la question de la biodiversité est traitée différemment par les acteurs impliqués dans la gestion, ce qui aura un impact direct sur la faune et la flore20

Références bibliographiques
  1. Mougeot, L. Urban agriculture: Definition, presence, potentials and risks. Growing Cities, Growing Food: Urban Agriculture on the Policy Agenda (2000).
  2. Satterthwaite, D., McGranahan, G. & Tacoli, C. Urbanization and its implications for food and farming. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences 365, 2809–2820 (2010).
  3. Duchemin, E. Agriculture urbaine d’hier à aujourd’hui: une typologie. Collectif, Agriculture urbaine: aménager et nourrir la ville, Éditions en environnement VertigO 17–92 (2013).
  4. Zezza, A. & Tasciotti, L. Urban agriculture, poverty, and food security: Empirical evidence from a sample of developing countries. Food policy 35, 265–273 (2010).
  5. Dykstra, D. P. & Heinrich, R. FAO Model Code of Forest Harvesting Practice. (FAO, 1996).
  6. Armar-Klemesu, M. Urban agriculture and food security, nutrition and health. Growing cities, growing food: urban agriculture on the policy agenda. A reader on urban agriculture 99–117 (2000).
  7. Aubry, C. et al. Urban agriculture and land use in cities: An approach with the multi-functionality and sustainability concepts in the case of Antananarivo (Madagascar). Land use policy 29, 429–439 (2012).
  8. Zezza, A. et al. The Impact of Rising Food Prices on the Poor. (2009).
  9. Agbonlahor, M. U., Enilolobo, O. S., Sodiaya, C. I., Akerele, D. & Oke, J. T. Accelerating rural growth through collective action: groups’ activities and determinants of participation in southwestern Nigeria. Journal of Rural Social Sciences 27, 5 (2007).
  10. IIED. IIED Annual report 2011/12: IIED at 40. https://www.iied.org/g03449.
  11. Gonzalez Novo, M. & Murphy, C. Urban agriculture in the city of Havana: a popular response to a crisis. Growing cities, growing food: urban agriculture on the policy agenda. A reader on urban agriculture 329–347 (2000).
  12. Smit, J., Bailkey, M. & Van Veenhuizen, R. Urban agriculture and the building of communities. Van Veenhuizen, R. Cities farming for the future, urban agriculture for green and productive cities. Leusden: RUAF Foundation 146–171 (2006).
  13. Van Veenhuizen, R. Cities farming for the future. Cities farming for future, Urban Agriculture for green and productive cities,(p 2-17). RUAF Foundation, IDRC and IIRP, ETC-Urban agriculture, Leusden, The Netherlands (2006).
  14. Orsini, F., Kahane, R., Nono-Womdim, R. & Gianquinto, G. Urban agriculture in the developing world: a review. Agron. Sustain. Dev. 33, 695–720 (2013).
  15. Harris, T. B. & Manning, W. J. Nitrogen dioxide and ozone levels in urban tree canopies. Environmental Pollution 158, 2384–2386 (2010).
  16. Coffey, M. & Coad, A. Collection of Municipal Solid Waste in Developing Countries. (UN-Habitat, United Nations Human Settlements Programme, 2010).
  17. Ghosh, N. Promoting biofertilisers in Indian agriculture. Economic and political weekly 5617–5625 (2004).
  18. Tixier, P. & De Bon, H. Urban horticulture. (2006).
  19. Specht, K. et al. Urban agriculture of the future: an overview of sustainability aspects of food production in and on buildings. Agriculture and human values 31, 33–51 (2014).
  20. Royer, H., Yengue, J. L. & Bech, N. Urban agriculture and its biodiversity: What is it and what lives in it? Agriculture, Ecosystems and Environment 346, 108342 (2023).